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L’Association Nationale Transgenre a mis fin à son activité.

Communiqué de presse du 21 mars 2023

Clap de fin pour l’ANT après 18 années d’actions, de lutte contre les LGBTIphobies et le sexisme

Le 4 décembre 2022, l’Association Nationale Transgenre (ANT) a formalisé sa dissolution à l’occasion de sa dernière Assemblée Générale.

Constituée en Lorraine en décembre 2004 sous l’impulsion de militantes déterminées, avec pour nom Trans Aide, l’association avait pour objet l’aide aux personnes transgenres, la lutte contre les discriminations et les violences à raison de l’identité de genre, et le sexisme dans toutes les strates de la société.

Rejetant d’emblée toutes références et assignations psychiatriques et/ou pathologiques du « transsexualisme », outils du corps médical destinés à nier la réalité de la diversité de genre, l’association a développé un discours novateur affirmant l’identité de genre comme une caractéristique propre à chaque être humain, à mille lieues des maltraitances du système de santé et de la volonté d’étouffement de la communauté transgenre de la part de l’État et de ses tribunaux (stérilisation et diagnostic de pathologie psychiatrique requis pour obtenir un changement d’état civil).

Face à cette situation, l’Association Nationale Transgenre avait organisé sa politique associative sur deux axes : apporter des réponses et de l’aide aux personnes transidentitaires et leurs proches afin de leur éviter les écueils de la transphobie d’une part ; agir afin de faire évoluer les lois et règlements administratifs transphobes d’autre part.

En s’appuyant sur une expérience de terrain et sur les textes les plus avancés en termes de droits humains (en premier lieu « Les principes de Jogjakarta » de 2006 » – https://yogyakartaprinciples.org/principles-fr/), par un travail avec les élus locaux et nationaux ainsi qu’au sein du Comité LGBTI+ du Défenseur des Droits, nous avons contribué à l’amélioration de la situation des personnes transgenres dans leurs vies quotidiennes. L’identité de genre est désormais un déterminant social et sociétal reconnu par des textes de loi du Code civil et des décisions du Défenseur des Droits permettant de faire reculer les discriminations. Même s’il reste encore beaucoup de progrès à faire en terme de lutte contre la transphobie, en particulier au bénéfice des jeunes personnes transgenres, que de chemin parcouru depuis le début des années 2000 !

Au delà des aides apportées aux personnes, des actions militantes, de la mise à disposition d’informations via notre site internet ou de documents édités, notamment notre brochure « Si mon genre m’était conté… » (11000 exemplaires imprimés), deux combats ont marqués notre vie associative et plus largement la communauté transgenre.

Le Changement d’état civil et la fin de la stérilisation des personnes transidentitaires

Si notre association a su faire entendre au Défenseur des Droits la réalité de la transphobie le menant à prendre position en 2016 en faveur du changement d’état civil libre et gratuit, l’ANT avait précédemment rédigé, en 2014, avec l’aide d’un juriste, une proposition de loi envoyée à l’ensemble des parlementaires.

Basée sur le texte du Code civil régissant le mariage, ce texte aurait fait sens juridiquement avec la culture républicaine française tout en offrant une procédure sur simple demande. Il fallait alors bien montrer l’exemple au législateur frileux et lui prouver que les revendications étaient – et sont toujours -, tout à fait maîtrisées et applicables !

En parallèle, une démarche juridique coordonnée de l’ANT avec deux de ses militantes a été menée et a eu in fine un impact considérable : la France, malgré elle, a dû s’astreindre à légiférer enfin sur les conditions de changement d’état civil des personnes transidentitaires. En effet, dès 2008, notre association a organisé et soutenu les dossiers de demandes de changement d’état civil d’Émilie Garçon et de Stéphanie Nicot, fondés sur le refus de donner des preuves de stérilisation et de psychiatrisation demandées alors par les tribunaux. Le but, dès le début, était bien évidemment de porter les dossiers jusqu’à la juridiction européenne pour faire évoluer le droit français.

Après un long cheminement juridique au niveau national, sans succès, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a été finalement interpellée. Et le 6 avril 2017, la France a officiellement été condamnée par la CEDH au titre de l’article 8, du fait de l’obligation pour les personnes transgenres de subir une intervention stérilisante en vue d’obtenir un changement de la mention de sexe à l’état civil.

Anticipant l’inéluctabilité de cette condamnation, l’État français a légiféré en 2016 via un amendement à la loi « Justice du XXe siècle ». Le texte soumis au vote, rédigé sans tenir compte des avis des associations concernées, aménageait l’ancienne jurisprudence, arbitraire, avec un cadre légal inscrit au code civil tout en abandonnant l’obligation de stérilisation. Avec la médicalisation et la judiciarisation toujours de mise lors de la démarche, et ne prenant en compte qu’a minima la future publication de l’avis de la CEDH, la France est encore très loin de respecter les droits humains des personnes transgenres.

Afin d’améliorer le texte présenté, l’ANT avait pourtant initié un amendement, co-rédigé et soutenu par la députée PS de Nancy Mme Chaynesse Khirouni. Celui-ci proposait une procédure libre et gratuite du changement d’état civil. C’était une première en France. Ce texte, soumis au vote parlementaire, a hélas été rejeté par la majorité socialiste en place. Finalement votée sans modifications, la nouvelle procédure de changement de la mention de sexe à l’état civil ne met pas fin à la transphobie d’État ! Une victoire importante était obtenue – la fin de la stérilisation des personnes transgenres -, mais le conservatisme du législateur maintenait la médicalisation et la validation d’un juge. Pourtant, plusieurs pays d’Europe avaient déjà donné l’exemple en abandonnant, pour le changement d’état civil des personnes transgenres, la stérilisation, les modifications corporelles, le certificats psychiatriques et les décisions judiciaires pour le changement d’état civil des personnes transgenres : Danemark (2014), Irlande (2015), Malte (2015), Norvège (2016).

La fin de la Psychiatrisation de la transidentité

Autre axe majeur de la transphobie institutionnelle, il y avait la qualification de la transidentité en tant que maladie mentale, été mise en place en 1965 lors de la rédaction de la Classification Internationale des Maladies (CIM) de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) sous l’intitulé « transvestism », requalifiée en 1975 en « transsexualism ». Et la transposition a été ensuite incorporée en 1980 dans le DSM III (« Diagnostic and statistical manual of mental disorder » de facture américaine). Pour l’ANT, il était crucial que cette classification, basée sur une volonté de persécution, cesse.

Intensifiée dans le monde depuis le début des années 2000, la lutte pour la défense des droits humains des personnes transgenres dans le monde par divers milieux associatifs a eu des répercussions majeures. Des textes fondateurs ont été rédigés tels que, en 2006, « Les principes de Jogjakarta », les recommandations « Droit de l’Homme et identité de genre » de Thomas Hammarberg (Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe), les résolutions 1728 (2010) et 2048 (2015) du Parlement du Conseil de l’Europe sur les discriminations à raison de l’identité de genre. Ces écrits, reposant sur le refus de toute mainmise de la psychiatrie sur les personnes transgenres, ont poussé l’OMS à agir et s’interroger sur ses propres positions transphobes, jusqu’à les remettre en cause.

Les travaux rédactionnels d’une nouvelle édition de la CIM (CIM 11) par l’Organisation Mondiale de la Santé, en 2007, en ont été l’occasion. Un réseau mondial de représentants et associations d’usagers et d’aidants a été mis en place pour la révision de la CIM-10 et le Centre collaborateur de l’organisation mondiale de la santé (CCOMS) de Lille en a été désigné organisateur pour la France.

Dans ce cadre, l’ANT a été sollicitée avec son expertise pour participer à une étude nationale afin de préconiser le retrait de la transidentité de la liste des maladies mentales, et mettre en place des parcours de santé non soumis à diagnostics via des médecins de ville. Les résultats ont ainsi été envoyés par le CCOMS à l’OMS mais aussi au Ministère de la santé en mars 2018 sous forme d’un rapport validant les préconisations de l’étude. Si le but principal de la dépsychiatrisation a été finalement acquis par un vote de l’ensemble des membres de l’OMS, la nouvelle classification parmi la « santé sexuelle » et le nouveau terme « incongruence de genre » ne sont ni adaptés ni conformes aux standards européens sur ces questions. La nouvelle CIM 11, éditée en janvier 2022, a cependant formalisé le retrait de la transidentité de la liste des maladies mentales. L’ANT est heureuse d’y avoir contribué au sein du collectif travaillant sous l’égide du CCOMS et au côté de la Maison Dispersée de Santé de Lille car ce n’était pas un aboutissement acquis d’avance. Gageons que le compromis international final de l’OMS puisse permettre aux personnes transgenres de par le monde d’accéder à un système de santé répondant à leurs attentes.

En France, il appartient désormais à l’institution médicale de se plier aux nouvelles normes de santé et de mettre en place rapidement de nouveaux standards concernant la transidentité, en se basant sur l’autodétermination des personnes. Récemment, le 12 décembre 2022, suite à une plainte déposée par Stop Homophobie, le Médecin-conseil national et le Directeur en charge du réseau médical de la CNAM ont rappelé « qu’il n’y a pas lieu de réclamer la production d’un certificat psychiatrique pour la prise en charge des parcours de transidentité »…

La fin d’un cycle

Ces deux exemples illustrant ces vingt dernières années de recul des transphobies d’État et médicales ces vingt dernières années nous ont appris que nos droits obtenus ne le sont que grâce à nos combats. Ils ont démontré que les travaux associatifs, à la fois institutionnels et militants, se complètent dans la réussite de nos luttes, aussi bien au niveau local que national et international.

Toutefois, malgré un bilan plus que positif, à l’heure du renouvellement des membres du Bureau et du Conseil d’administration de l’association, il n’a pas été possible de recueillir les candidatures nécessaires pour relancer sérieusement l’ANT, mettre en place et faire aboutir ses projets. En conséquence, d’un commun accord, il a été décidé d’une dissolution votée lors de la dernière Assemblée générale de l’association.

L’ANT, pendant son long cycle militant, a tenu en France une place motrice, incontournable, pour la conquête de l’égalité des droits des personnes transgenres en France. Nous pouvons être fiers-es de cette histoire associative riche, et je tiens à remercier chaleureusement les adhérent-e-s qui nous ont fait confiance, l’ensemble des animateurs-trices des groupes régionaux de l’ANT et membres du CA qui ont tant donné de leur énergie et de leur temps pour faire vivre l’association et contribuer à ses victoires.

Je remercie également l’ensemble des associations LGBTI+ qui ont soutenu l’ANT, et avec qui nous avons travaillé tout au long de ces années, ainsi que les élu-e-s ayant agi à nos côtés dans la lutte contre la transphobie et le sexisme.

Pour l’Association Nationale Transgenre,

Delphine Ravisé-Giard

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