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Mise à jour : 31 octobre 2011
Association nationale transgenre

Actualité !

Licenciement transphobe...

La HALDE prend enfin position !

Texte intégral de la délibération de la HALDE

Liberté · Égalité · Fraternité
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

HAUTE AUTORITÉ DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS ET POUR L'ÉGALITÉ
Délibération n° 2008-29 du 18 février 2008

Le Collège :
Vu la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail (refonte) ;

Vu la directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 modifiant la directive 76/207/CEE du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail ;

Vu le Code du travail ;

Vu la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ;

Vu le décret n° 2005-215 du 4 mars 2005 relatif à la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

Sur proposition du Président,

Décide :

La haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité a été saisie le 20 janvier 2007 par Clarisse XXXXX, née B. XXXXX. L'intéressée allègue avoir été victime de harcèlement moral ayant conduit à un licenciement discriminatoire en raison de son état de santé et de son transsexualisme.

La collaboration professionnelle avec le dirigeant de LA SOCIETE se serait détériorée après l'annonce, par B. XXXXX, de son intention de changer d'identité sexuelle.

L'intéressée a été embauchée le 1er juin 2005 par contrat à durée indéterminée en qualité de Directeur du développement et Directeur administratif et financier au sein de la société LA SOCIETE. Selon son contrat de travail et sa fiche de poste, la gestion interne et le développement de l'entreprise sont ses principales missions. Ses objectifs sont d' « Augmenter le chiffre d'affaire et la rentabilité, Capitaliser les savoir-faire et sécuriser la gestion financière, Accompagner le positionnement de la société et le développement de sa notoriété ».

B. XXXXX indique que, le 11 septembre 2006, il a informé son employeur de son intention de subir une conversion sexuelle. L'employeur lui aurait demandé oralement de prendre des congés et lui aurait indiqué vouloir rompre son contrat de travail au motif que « c'est avec Monsieur B. XXXXX et non pas Madame Clarisse XXXXX qu'il avait choisi de travailler et qu'il ne souhaitait pas imposer « ça » à ses salariés ».

Le 19 septembre 2006, Clarisse XXXXX envoie aux salariés de LA SOCIETE un courrier électronique annonçant son transsexualisme: « rien n'a changé dans ma tenue vestimentaire mais je suis légèrement maquillée. Je m'appelle maintenant Clarisse mais vous pouvez continuer à m'appeler B. si c'est plus simple », Il ressort des éléments recueillis lors de l'enquête que Clarisse XXXXX a demandé l'accord préalable de son employeur pour diffuser ce courriel à l'ensemble du personnel.

L'intéressée a reçu, le jour même, de nombreuses réponses positives de ses collègues.

L'employeur a indiqué à la HaIde « avoir pris connaissance de la situation de Monsieur B. XXXXX le 19 septembre 2006 par l'envoi d'un mail à tout le personnel de l'entreprise ». Il y a lieu de rappeler que Monsieur YYYYY avait connaissance de la situation de Clarisse XXXXX avant l'envoi de ce courrier.

Du 21 septembre au 15 octobre 2006, l'intéressée se voit prescrire un arrêt de travail pour « syndrome dépressif réactionnel à un conflit professionnel ». Lors de son absence pour maladie, elle relève son courrier professionnel et constate qu'elle n'a plus accès aux identifiants de connexion des banques de l'entreprise, le compte à son nom ayant été supprimé au bénéfice de Monsieur YYYYY. Les identifiants d'accès aux déclarations de l'URSSAF ont également été modifiés.

Or, les fonctions de Directeur administratif et financier, telles que prévues dans le contrat de travail de B. XXXXX, nécessitent l'accès à ces données, notamment pour le suivi des relations avec les banques et les différents prestataires financiers de l'entreprise.

Par ailleurs, pendant son arrêt maladie, l'intéressée constate sur ses bulletins de salaire, non seulement que son salaire ne lui est pas versé intégralement, et ce malgré un maintien de rémunération prévu conventionnellement, mais également une baisse de son coefficient de classification professionnelle.

L'intéressée décide de prendre rendez-vous avec la médecine du travail. A la demande de la salariée, une visite médicale de reprise est fixée au 16 octobre 2006, date de retour dans l'entreprise après arrêt maladie.

Le 16 octobre matin, Clarisse XXXXX se voit remettre en main propre par son employeur une lettre de convocation à un entretien préalable pour licenciement avec mise à pied à titre conservatoire. La lettre a pour objet : « Votre absence depuis le 11 septembre 2006 ». L'entretien préalable est fixé au 27 octobre 2006.

Le 16 octobre après-midi, le médecin du travail déclare le salarié « apte, à revoir dans 15 jours, avec dans l'attente une étude du poste et des conditions de travail ».

Sur les conseils de son avocat, Clarisse XXXXX prend acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 20 octobre 2006. Par courrier du 26 octobre 2006, LA SOCIETE accuse réception de la lettre de l'intéressée et lui précise que « la mise à pied à titre conservatoire est intervenue en raison de la dangerosité de la situation, au vu de réclamations de salariés à la suite de carences graves en matière sociale ».

Par courrier du 14 novembre 2006, l'employeur notifie à la salariée son licenciement en lui rappelant : « Vous avez reçu une convocation devant le médecin du travail pour le 31 octobre

2006, qui vous a déclaré apte, ce qu'il nous a confirmé dans un courrier du 3 novembre 2006 ». Il ajoute: « En raison de cette aptitude, nous avons à nouveau réfléchi aux motifs du licenciement envisagé ».

Le 15 novembre 2007, la haute autorité a adressé un courrier à la société LA SOCIETE par lequel elle l'informe des éléments recueillis lors de l'enquête et l'invite à présenter toutes observations complémentaires.

Après une demande de prolongation de délai, la société LA SOCIETE a répondu, par courrier du 4 décembre 2007, et a transmis à la haute autorité pour seule justification du licenciement l'audit social du 3 octobre 2006, effectué par le Cabinet Axiome.

Si l'audit, réalisé durant la période d'arrêt maladie de Clarisse XXXXX, met en évidence que certaines erreurs ont été commises, il ne mentiolli1e aucunement que ces erreurs soient imputables au salarié.

Lors de l'enquête, le mis en cause n'a pas communiqué le courrier du 26 octobre 2006 dans lequel il est fait état de la «dangerosité de la situation» ou les courriers électroniques transmis par Clarisse XXXXXXX à son employeur avant l'annonce de son transsexualisme.

L'examen du dossier personnel du salarié, adressé au service juridique par l'employeur, ne fait état d'aucune sanction disciplinaire. Les motifs de licenciement formulés par l'employeur ne semblent pas objectifs et proportionnés par rapport aux faits reprochés.

D'une part, il est établi par écrit que l'employeur a « réfléchi» aux motifs de licenciement, après réception de l'avis d' aptitude de la réclamante. Ainsi, l'employeur indique sans détour son souhait de licencier, par tout moyen, le salarié.

Il ressort également de la rédaction de la lettre de licenciement que les absences du 11 au 19 septembre, injustifiées selon l'employeur, et ayant entraîné une mise à pied à titre conservatoire, ne motivent plus la rupture du contrat de travail.

D'autre part, le compte-rendu de l'entretien préalable du 27 octobre 2006, rédigé par le conseiller du salarié, indique que les erreurs et/ou insuffisances reprochées au salarié n'ont pas été abordées lors de l'entretien et aucun document venant à l'appui d'un motif de licenciement n'a été présenté par l'employeur.

Nonobstant le fait que la procédure de licenciement peut être discutée tant sur la forme (défaut d'envoi de la lettre de licenciement par lettre recommandée, mise à pied à titre conservatoire non justifiée) que sur le caractère réel et sérieux des motifs invoqués (aptitude, absence, dangerosité, erreurs), il découle de l'enquête de la haute autorité que Clarisse XXXXX a fait l'objet d'une mise à l'écart professionnel immédiate, puis un licenciement suite à l'annonce de son changement de genre.

La concomitance entre la révélation de son transsexualisme et la procédure de licenciement engagée par l'employeur, établie par l'enquête de la Halde, révèle que l'attitude de l'employeur et le licenciement sont fondés sur le changement de sexe de Clarisse XXXXX.

Les arguments soulevés par la société concernant les faits reprochés à B. XXXXX ne permettent pas de justifier le licenciement par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail (refonte) rappelle, en son considérant 3, que « la Cour de justice a considéré qu'eu égard à son objet et à la nature des droits qu'il tend à sauvegarder, le principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes s'applique également aux discriminations qui trouvent leur origine dans le changement de sexe d'une personne ».

Dans son arrêt P. c/ S et Cornwall County Council du 30 avril 1996, la Cour de Justice des Communautés Européennes a décidé qu'un licenciement fondé sur le transsexualisme était une différence de traitement fondée sur le sexe.

L'article L. 122-45 du Code du travail dispose qu' « aucun salarié ne peut être licencié en raison de son sexe ». L'article L. 123-1 b) du code précité précise également que « nul ne peut résilier le contrat de travail d'un salarié en considération du sexe ».

Il ressort de l'analyse de la jurisprudence qui précède que toute discrimination fondée sur le transsexualisme d'une personne équivaut à une discrimination fondée sur le sexe, contraire à la directive sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes.

En conséquence, le licenciement peut être considéré comme nul en application de l’article L. 122-45 du-Code-du travail.

Le Collège de la haute autorité demande à présenter ses observations devant le Conseil de prud'hommes de Montpellier dans la procédure en cours, étant rappelé que cette audition est de droit, conformément à l'article 13 de la loi du 30 décembre 2004.

Le Président
Louis SCHWEITZER

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