Évolutions du changement de la mention de sexe en France
La proposition de loi n°260 débattue en séance du 9 avril 1982 au Sénat est la première tentative de donner un cadre légal au changement des mentions de prénom et de sexe à l'état civil pour les personnes transgenres.
Bien qu'inscrite dans un cadre médical, elle offrait dans son article 6, la possibilité d'une démarche en mairie (sans avoir subi au préalable de traitements chirurgicaux) « sur simple présentation d'un certificat médical attestant de l'anormalité », sous entendu la pathologie du transsexualisme.
De plus son article 7 proposait un effacement des précédentes mentions sans que personne ne puisse s'y opposer.
Malgré le cadre pathologisant, cette proposition de loi qui ne fût pas retenue, offrait une procédure plus souple et moins onéreuse que la jurisprudence qui a suivi dix ans plus tard et ses remaniements deux décennies après.
Le premier texte entériné fixant les conditions du CEC est un arrêt de la cour de Cassation du 11 décembre 1992 qui faisait suite à la condamnation de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) sur le principe du respect de la vie privée.
Le changement de la mention de sexe à l’état civil fût alors subordonné à 5 critères. La personne devait :
- avoir subi un traitement médico-chirurgical dans un but thérapeutique ;
- présenter le syndrome de transsexualisme ;
- ne plus posséder tous les caractères de son sexe d’origine ;
- avoir pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe ;
- avoir le comportement social correspondant.
La vérification de ces critères se faisait généralement par des expertises intrusives et dégradantes aux frais de la personne requérante.
Le changement d'état-civil venait d'être soumis à une exigence de stérilisation puisqu'il fallait apporter la preuve d'un traitement médico-chirurgical garantissant de ne plus posséder tous les caractères de son sexe d’origine et donc une perte de fertilité.
Le but thérapeutique et le syndrome de transsexualisme assuraient à l'état français un alibi médical pour que l'atteinte à l'intégrité du corps des personnes transgenres relève d'une dynamique de soin et non d'un acte criminel. Il était fondamental que l'état qui imposait le critère de stérilité et les médecins qui la pratiquaient (le tout dans le but de conserver l'ordre symbolique hétéro-patriarcal) soient protégés.
Face aux différences de traitements d’une juridiction à l’autre et aux difficultés subies par les personnes transgenres pour obtenir leur CEC, le ministère de la justice a émis le 14 mai une circulaire n°CIV/07/10 afin davantage uniformiser les procédures fluctuantes suivant les juridictions que de les assouplir.
En effet, cette circulaire réaffirme le cadre médical du syndrome de transsexualisme et invite les magistrats à avoir recours aux expertises « que si les éléments fournis révèlent un doute sérieux sur la réalité » de ce dernier.
Elle introduit pour la première fois la notion de « changement de sexe irréversible » à discrétion des magistrats de déterminer le degré de suffisance ou d’insuffisance des preuves de changement.
En juillet 2009, Thomas Hammarberg, Commissaire Européen aux Droits de l'Homme, émet dans un rapport 12 recommandations aux États membres, les invitant entre autre à « cesser de subordonner la reconnaissance de l’identité de genre d’une personne à une obligation légale de stérilisation et de soumission à d’autres traitements médicaux. »
Puis suit la Résolution 1728(2010) du Conseil de l'Europe qui appelle les États membres à garantir en matière d'état-civil « dans la législation et la pratique les droits de ces personnes à des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d’autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale. »
Voyant qu'à l'international des choses commencent à changer, que « la solution d'origine jurisprudentielle est inadaptée »(1), Michèle DELAUNAY et les députés du groupe PS à l'assemblée vont faire une proposition de loi n°4127 « visant à la simplification de la procédure de changement de la mention du sexe dans l’état civil »
Simplifier ne signifiant en rien rendre la démarche libre !
A la lecture de l'exposé des motifs, on s'aperçoit qu'il n'y a aucune volonté de remettre en cause le sacro-saint principe "d'indisponibilité de l'état des personnes" et encore moins d'intégrer les recommandations de Thomas Hammarberg, ou de la résolution 1728(2010) du Conseil de l'Europe.
Ainsi la procédure est judiciarisée puisque « La requête en rectification de la mention du sexe est présentée par l’intéressé au président du tribunal de grande instance ». Ensuite ont peut s'interroger sur la notion "d'abus manifeste" qui y est introduite, plaçant les personnes transgenres dans le registre de la délinquance, coupable d'office "d'abuser" les autorités judiciaires.
Rien n'empêchait alors les magistrats de qualifier des demandes de changement de la mention de sexe sans preuves médicales comme abusives. Même si aucune condition n'est posée en ce sens, rien n'interdit non plus d'en exiger.
Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république, cette proposition n'a pas eu de suite.
Suite notamment à des procédures de demandes de CEC militantes de la part de membres de l’Association Nationale Transgenre, sans toutes ou partie des preuves attendues par la jurisprudence de 1992, la Cour de Cassation a émis deux arrêts n°106 et n°108 en Février 2013. Réaffirmant d’une part à nouveau le cadre pathologique du transsexualisme et introduisant clairement d’autre part la notion d’irréversibilité évoquée par la circulaire de 2010.
Les demandes de changement de la mention de sexe à l’état-civil sont soumises à deux conditions :
- Établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ;
- Prouver le caractère irréversible de la transformation de son apparence ;
Pour autant, bien que n’étant plus explicites, les critères de stéréotypes comportementaux et physiques restaient toujours attendus.
Dans son avis du 27 juin 2013 la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme recommandait d'une part d'introduire le critère d'identité de genre pour "mettre le droit français en conformité avec le droit européen et international" et d'autre part "une démédicalisation complète et une déjudiciarisation partielle de la procédure de changement de la mention de sexe à l’état-civil."
L'état des lieux présenté par Tomas HAMMARBERG dans sont rapport de 2009 semble cette fois avoir été entendu, puisque avancé comme argument dans l'exposé des motifs de cette nouvelle proposition de loi n°216, « visant à protéger l’identité de genre », présentée par Esther BENBASSA et les sénateurs Europe Écologie Les Verts, enregistré à la Présidence du Sénat le 11 décembre 2013.
Mieux encore, elle a proposé de remplacer dans tous les textes modifiés par les articles 4 et 6 de la LOI n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, le terme « identité sexuelle » par "identité de genre".
La procédure est clairement démédicalisée puisque « L’autorisation de changement de la mention du sexe ne peut en aucun cas être subordonnée à la production de certificats ou d’expertises médicaux. »
Néanmoins, elle ne précise pas qui est l'autorité compétente pour entériner la procédure. L'officier de l'état-civil ? Le juge ?
De plus seule une personne majeure capable dès lors de prouver que sa mention de sexe sur son acte de naissance « n’est pas conforme à son identité de genre ni à son comportement social » peut en demander le changement. Qui définit le "comportement social" à avoir ? Devait on y voir une légalisation des stéréotypes de genre ?
Enfin que dire d'une autorisation « par décret », rendant publique aux yeux de tous (puisque les textes de loi sont accessibles gratuitement sur le site "Légifrance") la transidentité des personnes ? Une mesure fort « incompatible avec le respect de sa vie privée » (sic).
Dans le même temps, l'Association Nationale Transgenre travaillait sur sa propre proposition de loi.
Elle rajoutait dans le code civil un chapitre VII Du droit à l'identité de genre, en proposait une définition, créait un droit nouveau, ouvrait la procédure aux mineurs. La démarche devant l'officier d'état civil présupposait simplement que « Toute personne pourra solliciter la modification de la mention du sexe et de ses prénoms sur son acte de naissance, quand ils ne correspondent pas avec son identité de genre », avec le consentement de l'intéressé.e.
La démarche était faite en présente de deux témoins, comme dans le cadre d'un mariage, plaçant le changement de la mention de sexe à l'état-civil dans l'esprit d'un acte républicain positif et fort.
Le requérant ne pouvait être tenu de produire aucun document de nature médicale.
L'acte de naissance modifié se substituait à l'original (exit les mentions marginales) et toute publicité de la modification ne pouvait se faire sans l'autorisation de l'intéressé.e.
Enfin, elle proposait également de remplacer dans tous les textes concernés le terme « identité sexuelle » par identité de genre.
Dévoilée le 5 mai 2014, elle a été envoyée aux différents groupes parlementaires de l'Assemblée Nationale.
Plutôt que de se saisir des propositions de l'Association Nationale Transgenre, les députés Socialistes ont préféré faire cavalier seul en rédigeant après celle de 2011, une nouvelle proposition de loi.
Dévoilée à leur insu par l'ANT dans son communiqué de presse du 5 Octobre 2014, avant même qu'elle ne soit enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale, cette seconde tentative était loin d'être à la hauteur.
La demande était judiciarisée. Il fallait en effet s'adresser directement au Procureur de la République.
La démarche était réservée aux seules personnes majeures dont la mention de sexe à l’état civil ne correspondait pas à l'expérience intime de son identité et au sexe dans lequel elle est perçue par la société. Plutôt que l'autodétermination, c'est la détermination par les tiers qui prévalait.
Les éléments à apporter pour prouver qu'on remplissait les conditions pré-citées étaient :
- Les attestations ou témoignages qu'il a adapté son comportement social au sexe revendiqué ;
- Les attestations ou témoignages qu'il est connu dans le sexe revendiqué par son entourage familial, amical ou professionnel ;
- Les attestations qu'il a engagé ou achevé un parcours médical pour adopter le comportement social ou l'apparence physique du sexe revendiqué ;
- Les documents administratifs ou commerciaux établissant qu'il est connu sous l'identité revendiquée ;
- Les décisions judiciaires établissant qu'il a subi des discriminations du fait de la discordance entre son sexe à l'état-civil et le sexe revendiqué ;
Les 1° et 3° rappelleraient à s'y méprendre les critères de la jurisprudence de 1992. Quant au 5°, il interrogeait ! Fallait-il subir violences physiques et discriminations pour être autorisé.e à changer d'état-civil ?
Un bien mauvais départ ! On y lit clairement la volonté de subordonner le changement d'état-civil à des conditions médicales.
« Faire absolument moins bien que les autres : une exception française !? »
L'appel de l'ANT au député.e.s Pascale CROZON, Erwann BINET et Michèle DELAUNAY à être associé.e.s à « la rédaction d'une bonne loi » sur le changement d'état-civil a été totalement ignoré.
La proposition de loi n°3084, enregistrée à l'Assemblée le 29 septembre 2015 n'était qu'un vulgaire copier-coller de la première, sortie en septembre 2014. C'est dire le mépris de ces élus à l'encontre des personnes transgenres...
Motivé par le besoin d'anticiper les effets d'une future condamnation de la France par la Cour Européenne des Droits de l'Homme, le gouvernement Hollande a, par le biais d'amendements au projet de loi sur la modernisation de la justice du XXIème siècle, introduit des nouveaux articles au sein du code civil.
Ces amendements avaient comme base deux propositions de loi PS antérieures de 2014 et 2015, portées par les Député.e.s Pascale CROZON, Erwann BINET et Michele DELAUNAY.
L'article 18 quater du projet de loi n°738 adopté le 24 mai en 1ère lecture à l'Assemblée Nationale s'en éloignait assez peu et proposait les mêmes critères. Seules différences :
- L'abandon du critère inique de doute réel et sérieux sur la bonne foi des éléments fournis ;
- Une demande au Tribunal de Grande Instance et non plus directement au procureur ;
- L'ajout que le seul fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut suffire à motiver le refus de faire droit à la demande.
Des "améliorations" (sic) à la marge...
Au terme des différentes navettes parlementaires, le texte final qui fût adopté en lecture définitive par l'Assemblée Nationale le 12 octobre 2016 est celui de l'article 56 de la loi du 18 Novembre 2016.
Ignorant les recommandations du Conseil de l'Europe comme celles du Défenseur des Droits, ainsi que les revendications des personnes transgenres. Interprétant à sa guise l'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) de juin 2013, le gouvernement et le législateur ont proposé un cadre légal à minima, excluant les personnes mineures, faisant fi de l'autodétermination, se satisfaisant de la déjudiciarisation partielle tout en maintenant une médicalisation rampante et dont le seul bénéfice a été de ne plus recourir à l'obligation de stérilisation.
Mais cette victoire n'est en aucun cas de leur fait !
A l'origine de l'Arrêt A.P, GARON ET NICOT c/FRANCE du 6 avril 2017, il y a les requêtes de 3 femmes transgenres : A.P (ayant demandé la non-divulgation de son identité) ; Émilie GARÇON et Stéphanie NICOT - toutes deux cadres de l'Association Nationale Transgenre. Elles ont été déposées auprès de la Cour les 5 décembre 2012 (pour la première) et 13 août 2013 (pour les deux autres) contre la République Française.
Les griefs évoqués étaient :
- Pour la première les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains) et 6§1 (droit à un procès équitable) ;
- Pour les secondes les articles 8 et 14 (interdiction de discrimination)
Le 18 mars 2015, les griefs concernant les articles 3, 8 et 14 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement(2).
Lorsqu'on rapproche les dates, on se rend compte que c'est bien les effets de cette procédure qui a conduit le gouvernement Hollande à légiférer. En effet, les articles sur le changement de la mention de sexe à l'état-civil ont été introduits dans l'article 18 quater par l'amendement 282 au projet de loi de la justice du XXIème siècle à une date postérieure (24 mai 2016).
Lors de l'examen des articles de ce texte en Commission des lois de l'Assemblée nationale(3), La députée Pascale CROZON disait d'ailleurs : « Il faut de toute façon légiférer, car nous allons très prochainement être condamnés par la Cour Européenne des Droits de l'Homme »
La première requérante A.P, s'est vue déboutée pour les deux premiers griefs, du fait qu'elle ne remettait en cause que les expertises mais s'était soumise aux conditions du changement d'état-civil (transsexualisme et irréversibilité). Le troisième grief ainsi que les deux autres requêtes ont été jugées recevables.
Sur la condition d’irréversibilité de la transformation de l’apparence
[argumentaire des 2 parties et conclusion de la cour]
Argumentaire du gouvernement : Il soutient ensuite que le refus opposé aux requérants poursuivait un but légitime puisqu’il était guidé par le principe français de l’indisponibilité de l’état des personnes, qui implique que la modification de l’acte de naissance ne peut résulter du seul choix de la personne concernée, même si ce choix relève du respect dû à sa vie privée. Ainsi, selon le Gouvernement, c’est parce que la fiabilité et la cohérence de l’état-civil français sont en jeu et qu’il s’agit de conserver à l’identité sexuelle son rôle nécessaire et structurant au sein de l’organisation sociale et juridique, que le changement de sexe ne peut être autorisé à l’état-civil qu’après qu’ait été objectivement constaté l’irréversibilité du processus de conversion sexuelle.
Sur la condition de réalité du syndrome transsexuel (requête n° 52471/13)
[argumentaire des 2 parties et conclusion de la cour]
Dommages aux termes de l'article 41 de la Convention
Le constat reste amer : 24 ans au "Pays des droits de l'Homme" pour déboucher sur une solution ultra-minimaliste bien loin de ce que d'autres états de par le monde (Argentine en 2012, Malte en 2015) ont pu réaliser. Faire rentrer dans le droit français les recommandations de la résolution 2048(2015) du Conseil de l'Europe va une fois encore nécessiter des années de lutte. Combien de personnes transgenres en feront les frais ?
(1) Exposé des motifs, de la proposition de loi n°4127 enregistré à l'Assemblée Nationale le 22 décembre 2011. Ces arguments se retrouveront souvent dans l'exposé des motifs des autres propositions. Les députés français sont tellement timorés en la matière qu'il leur faut attendre "L'émergence de solutions internationales satisfaisantes" pour oser se dire que c'est possible et prendre en considération les discriminations rencontrées par les personnes transgenres.
(2) Paragraphe 4, partie procédure de l'arrêt.
(3) Commission des lois de l'Assemblée Nationale, à 1:12:20 sur la vidéo de la séance du [date]