Médicalisation du changement d’état civil : le Défenseur Des droits donne raison aux associations !
État civil – Identité de genre – Défenseur des droits – Gouvernement
Le 4 juin dernier, lors de la réunion du Comité d’entente LGBTI du Défenseur Des Droits, M. TOUBON a rendu publique sa décision n°2018-122 portant recommandations à la Ministre de la Justice relatives à la modification de la mention de sexe à l’état civil. L’objet porte plus précisément sur la place des pièces médicales et leurs appréciations lors des requêtes effectuées par les personnes transgenres.
Une démédicalisation en trompe l’œil
Depuis la loi n°2016-1547 de modernisation de la justice du XXIème siècle du 18 novembre 2016, en réponse à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt AP, GARCON ET NICOT c/FRANCE, 6 avril 2017), pour les personnes transgenres apporter une preuve de perte irréversible de fertilité lors d’un changement de la mention de sexe à l’état civil est devenue caduc.
Ce nouveau cadre, moins contraignant mais encore soumis à la décision d’un juge, laisse néanmoins une place aux documents médicaux, toujours recevables puisque « rien ne s’oppose à ce que la personne concernée, si elle l’estime utile, produise des attestations médicales »1. Cette porte ouverte à ce genre de “preuves” relativise sérieusement les annonces grandiloquentes du gouvernement et de ses représentant-e-s proclamant avoir mis en place « une procédure de CEC démédicalisée, rapide et gratuite »2.
La preuve par les faits
En mai 2017 l’Association Nationale Transgenre (ANT) a été alerté par l’un-e de ses adhérent-e-s, lors d’une démarche effectuée pour un changement de la mention de sexe à l’état civil, sur le comportement non conforme à la loi du TGI de Bordeaux. En effet, ce tribunal avait édité une liste mentionnant les pièces à produire lors d’une telle procédure : il y était clairement exigé, parmi celles-ci, « toutes pièces médicales de nature à établir la non concordance entre le sexe d’état civil et le sexe revendiqué (médecin, psychiatre, psychologue…) ».
Cette situation est malheureusement le résultat d’une loi mal écrite à dessein, permettant aux magistrats de favoriser des pratiques héritées de l’ancienne jurisprudence transphobe, fondée sur la fourniture de “preuves” médicales. Et la portée des recommandations donnée par la circulaire d’application quant à la place des pièces médicales qui « en tout état de cause […] ne sauraient être exigés»3, demeure peu dissuasive.
Rappels à l’ordre
C’est donc sur ces éléments que l’Association Nationale Transgenre a légitimement saisi le Défenseur Des Droits amenant celui-ci à donner tort au TGI de Bordeaux, ce dernier étant ensuite obligé de modifier la liste des pièces nécessaires pour un changement de la mention de sexe à l’état civil, en respectant désormais le caractère facultatif des documents médicaux.
De plus, le Défenseur Des Droits, sur la base de ces faits, a publié la décision 2018-122 portant recommandations adressées au ministre de la Justice afin que les personnes « soient informées, au travers des notices de pièces mises à disposition du public dans les ressorts des tribunaux de grande instance, du caractère facultatif de la communication de données médicales à leurs dossiers, et que des instructions soient données en ce sens. »
L’ANT se félicite de cette fermeté, seule à même de contrer les dérives de certains tribunaux. Si elle ne remet pas en cause la fourniture de pièces médicales, elle en relativise l’importance en les ramenant à ce qu’elles sont : des pièces facultatives, à la portée limitée. Par conséquent, l’attitude de tribunaux attribuant à de tels documents une « force probante » supérieure à celle de toutes les autres (changement de prénom, documents de la vie courante, témoignages etc.) de nature à « sécuriser le dossier du requérant 4 » n’a pas lieu d’être, et doit cesser.
En conséquence, nous invitons toutes les personnes transgenres qui le souhaitent, et en capacité de le faire, à s’appuyer sur cette décision du Défenseur des Droits pour présenter des requêtes sans pièces médicales, ou pour justifier un refus de donner de telles pièces à un tribunal qui en exigerait la production, que ce soit lors de l’instruction de leur dossier ou lors des auditions devant la Chambre du Conseil. Et si un tel cas se présentait, nous vous inviterions à alerter le Défenseur des Droits en faisant systématiquement une saisine à l’encontre des juridictions concernées.
Mettre un terme aux « traditions juridiques » transphobes !
En finir avec de tels imbroglios juridiques, fruits amers d’un gouvernement qui avait choisi la « tradition juridique »5 de l’indisponibilité de l’état civil au détriment de la protection des personnes transgenres, ne sera possible qu’en abandonnant cet archaïsme au profit de l’autodétermination, conformément aux Principes de Jogjakarta, à la résolution 2048 (2015) du Conseil de l’Europe et à la décision cadre MLD-MSP-2016-164 du Défenseur Des Droits. Seule solution viable et respectueuse des droits humains, l’adoption d’une procédure libre et gratuite, déclarative sans distinction d’âge, rapide et transparente, en Mairie auprès des services de l’état civil, fondée sur le principe d’autodétermination, doit être mise en place. Le gouvernement actuel, chantre de la modernisation, aura-t-il le courage d’aller dans le sens de l’histoire pour effectuer une telle modification du Code civil ?
Pour l’Association Nationale Transgenre,
Delphine Ravisé-Giard
Présidente
1 Annexe 2 de la circulaire du 10 mai 2017 de présentation des dispositions de l’article 56 de la loi n ° 2016-1547 du 18 novembre 2016
2 Député Erwann Binet, le 19 mai 2016 sur son compte Twitter #transidentité #directAN.
3 Circulaire du 10 mai 2017
4 Argumentaire du premier vice-président du TGI de Bordeaux dans sa réponse au Défenseur des droits, dans le cadre de la saisine effectuée par l’ANT.
5 Article du 27 mai 2016 de Marianne.net : « État civil des transgenres : Erwann Binet défend « une révolution ».